1 Août 2009
Proche-Orient - Gaza : un projet planifié ? (Le Monde, 5 janvier 2009) - Texte intégral
[Photo : Naplouse - Cisjordanie]
On pensait l’opération terminée, mais les crimes de guerre reprennent et les morts civiles s’accumulent à nouveau dans la Bande de Gaza.
Depuis décembre 2008, en effet, sous prétexte de « riposte » à des tirs de roquettes sur son territoire, l’armée israélienne a détruit de nombreuses infrastructures et tué des centaines de civils palestiniens.
Mais il est bien clair que ce n’est pas en bombardant une fois de plus les populations civiles que les dirigeants israéliens parviendront à éradiquer la résistance palestinienne à l’occupation des territoires. Au contraire, même, Israël ne fait que radicaliser cette résistance et susciter des vocations au martyr parmi les proches des victimes.
Aussi, l’objectif est forcément ailleurs… Et la question se pose donc de savoir ce qu’Israël fait réellement à Gaza.
Conviendrait-il de mettre en relation le retour d’Israël à Gaza (officiellement évacuée par les colons et l’armée sous le gouvernement d’Ariel Sharon, en 2005) avec le regain d’intérêts pour les vastes gisements gaziers dans les eaux territoriales palestiniennes, découverts en 2002, mais que l’on sait depuis peu être bien plus importants que ce que l’on avait pu estimer à l’époque ?
Ou bien, sans toutefois négliger ce fait, l’invasion israélienne ne procèderait-elle pas plutôt d’une politique plus systématique ?
Ainsi, le gouvernement israélien aurait-il décidé d’achever de vider les territoires palestiniens par la terreur, la ruine économique et l’insécurité ?
Comment, en effet, pourrait réagir un père de famille, sans revenu, sans plus d’espoir et dont les enfants sont régulièrement mis en danger, autrement qu’en se décidant, tôt ou tard, à émigrer et à rejoindre les communautés de la diaspora arabe palestinienne ? N’est-ce donc pas là le véritable objectif d’Israël, de progressivement chasser les Arabes de Palestine, vers l’Egypte, la Jordanie ou d’autres pays arabes ?
En fait, n’est-ce pas là la politique menée par Israël depuis sa création, en 1948, et qui, en réalité, avait commencé avant même la proclamation de l’Etat israélien déjà, par les attentats anti-arabes perpétrés par les mouvements terroristes juifs Irgoun ou Stern ?
Ne sont-ce pas les mêmes méthodes que celles pratiquées lors du massacre de la population arabe du village de Deir Yassin, durant la nuit des 9 et 10 avril 1948, qui avait provoqué la panique et le début de l’exode des Arabes de Palestine, petit à petit remplacés par des colons israéliens?
N’est-ce pas dans ce but que l’armée israélienne lance par avions quantité de tracts sur la Bande de Gaza, annonçant aux Gazaouis l’intensification des opérations militaires et leur enjoignant : «pour votre propre sécurité, nous vous demandons de quitter la zone immédiatement » ?
Ces tracts ne sont pas sans rappeler ceux qui avaient été distribués aux populations arabes par le mouvement sioniste, après le massacre de Deir Yassin, par lesquels il était conseillé aux Arabes de quitter leurs villages, car d’autres Deir Yassin allaient suivre…
Et il n’y a pas que Gaza : la politique d’enclavement des territoires autonomes palestiniens de Cisjordanie, encerclés par les établissements de colonies juives et régulièrement objets de bouclages économiques, d’interventions armées et de violences, n’est-elle pas la continuité logique et la poursuite systématique d’un projet d’épuration soigneusement planifié ?
Autre question : les conséquences de cette nouvelle agression dépassent largement le seul cadre israélo-palestinien et sont lourdes pour l’ordre international.
Le constat est une fois de plus dramatique quant au rôle de l’ONU : à nouveau, les principes les plus fondamentaux sur lesquels reposait le droit international ont été bafoués par Israël. Sans objectif militaire défini, l’armée a pris pour cible, directement et consciemment, des populations civiles, méthodes habituelles, appliquées, par exemple, lors de l’invasion du Liban, en juillet 2006, dont l’épisode le plus ignoble avait été le massacre de Qana ; Israël avait même bombardé des installations de la Croix rouge, détruit les routes qu’empruntaient les secours et réduit en cendres des quartiers de villes et des villages entiers.
Sans aucune ambiguïté, il s’agit de crimes de guerre d’une extrême gravité aux termes de la Convention de Genève. Et cela recommence aujourd’hui.
Une nouvelle fois, cette agression illégale démontre l’impuissance de l’ONU et les limites du droit international.
L’ONU ? Le droit international ? Ce sont là des éléments du jeu de la haute politique étrangère des Etats qui en ont les moyens, économiques et militaires : les règles en sont somme toute assez simples et, en fin de compte, tout le monde joue carte sur table. Les dès, bien sûr, sont pipés. Mais tout le monde le sait. Et chacun fait semblant d’y croire, avec une grande conviction apparente, beaucoup de sérieux.
Des centaines de civils sont morts déjà, les blessés s’entassent dans les hôpitaux, mais aucune force internationale ne s’interpose…
Et, déjà, le nouveau et « super-sympa » président des Etats-Unis déçoit par son silence. Son silence ? Non, il supporte même : «si quelqu’un lançait des roquettes sur ma maison la nuit (…), je ferais tout mon possible pour l’en empêcher», avait-il déclaré…
N’est-ce pas précisément ce que font les Arabes de Palestine depuis la terrible nuit de Deir Yassin, depuis cinquante ans maintenant ?
Ainsi, pour les Palestiniens, le grand changement Obama n’aura pas lieu. La nouvelle administration présidentielle se bornera à poursuivre la politique de la précédente, qui a, une fois encore, paralysé l’ONU et empêché toute action pour faire cesser l’agression sur Gaza, en utilisant son droit de véto au Conseil de sécurité.
Un soutien inconditionnel à l’Etat israélien qui tue des enfants ? «Yes, he can !»…
Lien utile : voir aussi Guerre du Liban - 2006.
Coupure de presse :
Voir également : Breaking the Silence (Israeli soldiers talk about the occupied territories).